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Quelques idées fausses sur les débats autour de l'hydroxychloroquine

    Le but de ce billet n'est pas de trancher si oui ou non la chloroquine et l'hydroxychloroquine sont efficaces, et dans quelles conditions : je laisse cela aux professionnels. En revanche, je vois souvent revenir les mêmes arguments qui semblent passer totalement à côté du débat, et il me semble important de les lister ici (ceci surtout afin de ne plus avoir à répéter sans cesse la même chose, je l'avoue !). Comme toujours, si vous avez d'autres exemples en tête, n'hésitez pas à m'en faire part en commentaire.


I/ L'hydroxychloroquine n'est pas assez rentable, c'est pourquoi on essaie de décourager son utilisation

    Pour commencer, l'efficacité d'un médicament n'est absolument pas liée à son prix. Mais les personnes qui utilisent cet argument considèrent en général que la recherche d'un traitement contre le Covid-19 ne suit pas son chemin normal, mais est dérangée par des intérêts financiers qui cherchent à tirer profit de la crise.
    Dans le cas de la chloroquine et de l'hydroxychloroquine, cet argument est de plus particulièrement inadapté, car ces deux dérivés de la quinine ont un coût de production très bas. Une étude (source ci-dessous) a ainsi estimé le coût de production de différents traitements actuellement utilisés ou envisagés contre le Covid-19 :
Tableau des coûts de production estimés de certains traitements contre le Covid-19
    Comme vous pouvez le constater, si l'on s'intéresse à la colonne "Estimated cost price (day)", qui permet d'intégrer la posologie propre à chaque traitement (du moins, grossièrement), on constate que la chloroquine coûte 0,02$ par jour, l'hydroxychloroquine 0,08$, et l'azithromycine 0,10$. Ces traitements sont au moins trois fois moins cher à produire que tous ceux du tableau (le minimum suivant étant atteint pour le Lopinavir, avec 0,93$), ils semblent donc au contraire représenter une bonne opportunité de profit pour l'industrie pharmaceutique : ils peuvent générer une marge importante, tout en restant à petit prix, ce qui les rend accessibles à beaucoup. On peut également noter que ce profit ne serait pas restreint à un seul laboratoire, puisque la molécule est dans le domaine public depuis 2003.
    De plus, la chloroquine et l'hydroxychloroquine sont, à ma connaissance (et malgré les recherches que j'ai faites sur le sujet) les seuls traitements qui se positionnent actuellement sur le domaine de la prévention du Covid-19. Ce sont donc les seuls traitements qui pourraient être utilisés même pour les personnes non malades, et pour des durées plus longue que la durée d'infection. Encore une fois, cela offre des opportunités de bénéfices considérables.
    Enfin, il est déjà arrivé que l'Etat prenne une licence d'office pour supprimer le brevet d'une éventuelle nouvelle molécule, et ainsi permettre à tous les laboratoires de la produire dans la situation d'urgence de la pandémie. Dans ce cas, le laboratoire ayant découvert cette molécule perdrait de toute façon tout le bénéfice de sa découverte.
    

Sources :


II/ À Marseille on prescrit beaucoup de chloroquine et d'hydroxychloroquine, et le taux de létalité est très bas :

    Faisons ici une précision qui a son importance : le taux de mortalité est le nombre de morts sur la population totale, tandis que le taux de létalité est le nombre de morts sur les personnes contaminées. L'indicateur intéressant pour comparer des régions entre elles est le taux de mortalité ; en effet, toutes les régions n'ont pas les mêmes capacités de test, certaines testent plus et détectent beaucoup plus de cas (c'est le cas de la région de Marseille par exemple), ce qui a pour effet de diminuer artificiellement le taux de létalité.
    Les chiffres de décès que j'utilise ici ont été consultés le 6 juin 2020, tandis que ceux de la population datent de 2017 (mais j'ai considéré que cela ne constituait pas une approximation dommageable), les sources sont disponibles ci-dessous. Puisque les chiffres sont compliqués à trouver pour la ville de Marseille seule (et que ceux-ci sont de toute façon biaisés par le fait que la ville peut attirer des cas venant des alentours), j'ai décidé de comparer les chiffres du département des Bouches-du-Rhône aux chiffres du reste de la France.
  • Bouches-du-Rhône : entre le 1er mars 2020 et le 5 juin 2020, 533 personnes sont décédées du Covid-19 à l'hôpital. Le département comportait 2 024 162 habitants en 2017, ce qui fait donc un taux de mortalité dans les hôpitaux d'environ 0,026%.
  • France : entre le 1er mars 2020 et le 5 juin 2020, 18 741 personnes sont décédées du Covid-19 à l'hôpital. Le pays comportait 66 774 482 habitants en 2017, ce qui fait donc un taux de mortalité dans les hôpitaux d'environ 0,028%
    La différence est donc bien minime, une fois que l'on se ramène au taux de mortalité. Bien sûr, ces chiffres sont à prendre avec précaution, puisqu'ils ne tiennent compte que des décès ayant lieu à l'hôpital. Il ne faut également pas oublier que dans les régions en forte tension hospitalière, tous les malades nécessitant d'être soignés à l'hôpital ne le sont pas forcément, mais qu'en même temps ceux admis à l'hôpital ont de moins bonnes chances de survie. Ces chiffres sont donc complexes, et doivent être comparés avec précaution ; en l'état, ils ne constituent un argument ni en faveur de l'utilisation de l'hydroxychloroquine et de la chloroquine, ni en sa défaveur.

    On peut également noter que cet argument est d'autant plus inadapté que la chloroquine et l'hydroxychloroquine n'ont pas été particulièrement plus utilisées à Marseille que, par exemple, en région parisienne. En témoigne la citation ci-dessous : concernant l'hydroxychloroquine, elle était même plus prescrite à Paris que dans le département des Bouches-du-Rhône le 1 arvil :
En terme de prescription d’hydroxychloroquine la région Provence-Alpes-Côte d'Azur (47,1 pour 100 000) était la première devant la région Île-de-France (35,8 pour 100 000) (Tableau 9 et Figures 19 à 20). Le Grand Est, particulièrement atteint par l’épidémie, se situait juste dans la moyenne pour les prescriptions d’hydroxychloroquine (24,9 pour 100 000). À l’échelle départementale les dix départements ayant le taux de délivrance d’hydroxychloroquine le plus élevé étaient Paris (64,2 pour 100 000), les Bouches-du-Rhône (57,5 pour 100 000),[...]

Sources :


III / Pourquoi il n'y avait pas d'effets secondaires quand on en prenait, il y a des dizaines d'années, contre le paludisme ? :

    D'une part, les effets secondaires de la chloroquine sont connus depuis longtemps. Vous trouverez dans les sources un lien Wikipédia listant les cas d'effets secondaires recensés à ce jour (hors Covid-19).

    D'autre part, c'est la dose d'un médicament qui fait sa toxicité. Comparons donc les doses utilisées contre le paludisme avec la posologie recommandée par exemple par l'IHU de Marseille :
  • Plaquenil : 400mg d'hydroxychloroquine par semaine en prévention du paludisme. Ces doses peuvent être augmentées dans le cas d'autres maladies, ou en cas de crise de paludisme, jusqu'à environ 600mg par jour.
  • Nivaquine : 100mg de chloroquine par jour en prévention du paludisme. Ces doses peuvent être augmentées jusqu'à 300mg voire 600mg par jour.
  • Hydroxychloroquine contre le Covid-19 selon l'AMM : 600mg par jour.
  • Hydroxychloroquine dans le monde : entre 400mg par jour (Corée et Iran) et 1000mg par jour (Chine).
  • Hydroxychloroquine selon l'IHU de Marseille : 600mg par jour.
On constate qu'il existe une grande disparité dans les doses administrées. Il est donc délicat de comparer les utilisations antérieures de l'hydroxychloroquine avec les utilisations actuelles. De plus, toute mention d'une prise d'hydroxychloroquine en prévention du paludisme fait en réalité référence à une dose de 400mg par semaine, très éloignée des doses actuellement envisagées contre le Covid-19.

Sources :


IV/ D'autres pays utilisent la chloroquine ou l'hydroxychloroquine, et ils n'ont pas beaucoup de morts :

    Cette affirmation n'est pas fausse, mais elle n'est pas pertinente. Il est en effet très compliqué de comparer deux pays entre eux dans cette épidémie : le nombre de morts dépend de nombreux facteurs, comme l'âge de la population, la fréquence des autres comorbidités, le niveau de développement du pays, la date à laquelle il a été touché, la façon dont ses pays voisins sont touchés, sa préparation contre l'épidémie et, en effet, les traitements qui y sont utilisés.
    De plus, tous les pays utilisant de l'hydroxychloroquine ne sont pas forcément épargnés. Ainsi, l'IHU de Marseille indique sur son site que l'hydroxychloroquine est autorisée au Brésil et aux États-Unis, mais ces deux pays sont durement touchés par la maladie (le 28 mai, ils déploraient chacun plus de 1000 nouveaux morts).
    Concernant les pays africains, qui résistent bien à la crise, plusieurs facteurs autres que l'utilisation de l'hydroxychloroquine peuvent expliquer leur réussite : ils ont pu mieux se préparer à l'épidémie, en constatant les dégâts qu'elle causait dans les pays européens et en Amérique, et surtout ils ont une population plus jeune. Même si les carences immunitaires ont tendances à être plus répandues en Afrique, la jeunesse de sa population est un atout. Ainsi, en France, 71% des décès du coronavirus concernent les plus de 75 ans, et 89% concernent les plus de 65 ans. Or en Afrique environ 0,5% de la population est âgée de plus de 75 ans, et 1,7% de la population est âgée de plus de 65 ans. En France, ces pourcentages valent respectivement environ 4,7% et 10,3%.
Comparaison de la pyramide des âges dans deux régions du monde différentes


Sources :

Conclusion :

        J'aimerais conclure en soulignant qu'il est dans l'intérêt de tous de trouver un traitement efficace le plus rapidement possible contre le Covid-19. Les intérêts financiers s'alignent avec les intérêts de la santé publique (comme souvent d'ailleurs : un pays a plus intérêt à avoir une population en bonne santé que le contaire), mais on ne peut pas accélérer le processus de recherche outre mesure. Il ne faut pas oublier que cette recherche prend du temps et avance à tâtons, et qu'une pandémie dépend de multiples facteurs, souvent difficiles à cerner.

Image (modifiée) : Pharmaceuticals / Chloroquine

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