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Analyse : les études du professeur Raoult

    Il ne vous aura pas échappé que le débat autour de l'hydroxychloroquine et du professeur Raoult a pris une ampleur sans précédent.
    Sur les réseaux sociaux, je suis souvent amenée à discuter de la pertinence de ses études avec des personnes non-scientifiques qui ne réalisent pas, en toute bonne foi, ce qu'on peut leur reprocher.

    Mon but ici n'est pas d'écrire un article à charge ; je ne sous-entends pas que le professeur Raoult est incapable de réaliser une étude correcte, ni qu'il ne réalisera jamais d'étude satisfaisante concernant l'utilisation d'hydroxychloroquine et d'azythromicine contre le Covid-19. J'ajoute que pour chaque affirmation, je citerai la partie exacte de l'étude sur laquelle je me base.

    Ceci était dit, entrons dans le vif du sujet.

Hydroxychloroquine

I/ Première étude :

  • Cette étude possède un groupe contrôle (même s'il ne s'agit pas d'un essai en double-aveugle), mais n'a un effectif que de 36 patients (20 dans le groupe traité et 16 dans le groupe contrôle), ce qui est très peu (table 1).
  • De plus, parmi les 20 patients traités à l'hydroxychloroquine, seuls 6 étaient traités avec la combinaison hydroxychloroquine et azythromicine (table 3).
  • Initialement, l'étude devait compter 26 patients traités à l'hydroxychloroquine, mais 6 d'entre eux ont été retirés avant la fin (paragraphe 3.1 : Demographics and clinical presentation), l'un parce qu'il quittait l'hôpital et les autres à cause de l'aggravation de leur état (trois d'entre eux ont été transférés en soins intensifs, l'un est mort, et le dernier a décidé d'arrêter le traitement à cause de nausées). Il est anormal que ces données n'aient pas été retransmises dans le tableau de fin de l'étude (notamment le patient décédé et ceux transmis aux soins intensifs).
  • Plusieurs chercheurs ont tenté de refaire les calculs, notamment concernant la fiabilité statistique de l'étude, et sont arrivés à des résultats différents (et moins bons) de ceux indiqués dans l'étude, sans raison apparente.
  • On ne possède pas les détails des caractéristiques des patients dans chaque groupe : leur âge, leurs éventuelles comorbidités, la gravité de leur maladie...
  • Conclusion : "Despite its small sample size, our survey shows that hydroxychloroquine treatment is significantly associated with viral load reduction/disappearance in COVID-19 patients and its effect is reinforced by azithromycin." L'équipe conclut à un effet significatif malgré l'effectif très réduit de l'étude, ce qui est étonnant et inhabituel.
Sources complémentaires :
  • Ce qu'on peut reprocher à cette étude, c'est avant tout que les critères d'exclusion des patients ont changé au fil de l'étude ; selon la période, un même patient pouvait être jugé trop sujet aux effets secondaires pour continuer le traitement, ou pas. Les critères allaient en s'assouplissant avec le temps (paragraphe 2.7 : Criteria for discharge).
  •  Il s'agit d'une étude rétrospective, et pas d'un essai clinique ; les résultats ont été analysés après le traitement (paragraphe Methods).
  • L'étude ne dispose pas de groupe contrôle (paragraphe Methods) ; cela rend les résultats difficilement analysables, d'autant plus que le taux de guérison naturelle chez les patients est élevé.
  • L'étude porte sur 80 patients, dont 10 patients âgés de plus de 70 ans, et 23 patients âgés de plus de 60 ans (table 1). Autrement dit, l'échantillon est assez faible, et surtout peu représentatif de la population habituellement mise en danger par le Covid-19 (85% des décès dûs au Covid-19 ont lieu chez les plus de 70 ans, et 95% ont lieu chez les plus de 60 ans).
  • Conclusion : "In conclusion, we have provided evidence of a beneficial effect of co-administration of hydroxychloroquine with azithromycin in the treatment of COVID-19 and its potential effectiveness in the early reduction of contagiousness." L'équipe de Didier Raoult conclut encore une fois qu'elle a fourni la preuve de l'efficacité de son protocole contre le Covid-19, alors qu'il est d'usage, sur des échantillons aussi bas, d'indiquer que les résultats doivent être confirmés par des études de plus grande ampleur.
Source complémentaire :

III/ Troisième étude :

  • L'étude ne possède pas de groupe contrôle, ce qui pose un problème déjà expliqué plus haut. Il y a un autre problème à prendre en compte : l'étude se déroulant à Marseille, où la population est beaucoup testée et dépistée, elle a pu intégrer beaucoup de patients ayant des formes bénignes de Covid-19. Or, l'étude se vente d'obtenir de bons résultats (table 2), mais ils ne s'appliquent qu'aux personnes peu malades, il est donc encore plus difficile de le comparer aux chiffres du reste de la France (puisque la population française a été peu dépistée).
  • L'étude possède un tableau des caractéristiques des patients en sortie d'étude (outcome) mais pas en début d'étude (baseline) ; il est impossible de connaître avec précision la répartition des patients selon leur âge, par exemple. On sait seulement que 50% des patients avaient plus de 43 ans, et que 50% avaient moins, ce qui en fait un échantillon encore une fois très jeune. C'est d'autant plus dommageable que l'étude ne possède pas de groupe contrôle ; sans connaissance précise de la composition du groupe testé ici, impossible de le comparer au reste de la population française.
  • L'étude ne détaille pas quels critères d'inclusion ont été utilisés pour sélectionner les 1411 patients de l'étude (qui sont devenus 1061 après que 350 patients ont été exclus, avec cette fois-ci les détails des critères table 1).
  • Conclusion : "Administration of the HCQ+AZ combination before COVID-19 complications occur is safe and associated with a very low fatality rate in patients." Encore une fois, la conclusion est étonnamment arbitraire pour une étude scientifique.
Source complémentaire :

IV/ Quatrième étude :

  • Cette étude possède un groupe contrôle (figure 1), toutefois il n'est pas homogène : parmi les 618 patients le constituant, 218 ont reçu la combinaison hydroxychloroquine et azythromicine pendant moins de trois jours (sans qu'on sache pourquoi le traitement a été interrompu), 101 n'ont reçu que de l'hydroxychloroquine, 137 n'ont reçu que de l'azythromicine, et 162 n'ont reçu ni l'un ni l'autre (sans qu'on sache s'ils ont tout de même reçu des soins standards, ou pas). Ici encore, on manque d'informations concernant notamment les critères intervenant dans la décision de prolonger le traitement hydroxychloroquine et azythromicine pendant plus de trois jours ou non. En l'absence de ces critères, impossible de savoir si les patients du groupe contrôle traités pendant moins de trois jours ont dû interrompre le traitement à cause de complications ; on ne sait pas non plus ce qu'il est advenu d'eux après trois jours.
  • Les groupes testé et contrôle sont également très différents (table 2) : le groupe testé contient 3,6% de patients âgés de plus de 75 ans et 9,5% de patients âgés de plus de 65 ans, alors que le groupe contrôle contient 16% de patients âgés de plus de 75 ans et 25,4% de patients âgés de plus de 65 ans.
  • Toujours dans la table 2, on voit que les comorbidités sont beaucoup plus fréquentes dans le groupe contrôle que dans le groupe testé : que ce soit le cancer (2,7% dans le groupe testé contre 7,4% dans le groupe contrôle), le diabète (7,5% dans le groupe testé contre 12,5% dans le groupe contrôle), une maladie du cœur chronique (4% dans le groupe testé contre 15,2% dans le groupe contrôle), de l'hypertension (13,1% dans le groupe testé contre 24,4% dans le groupe contrôle), une maladie respiratoire chronique (8,6% dans le groupe testé contre 11,5% dans le groupe contrôle), ou bien l'obésité (11,1% dans le groupe testé contre 11,8% dans le groupe contrôle).
  • Pour en finir avec la table 2, le groupe testé était moins malade que le groupe contrôle : 93,8% des patients du groupe testé avaient un stade faible, contre 80,1% des patients du groupe contrôle. Pour les stades moyen et fort, il y avait environ 3% de patients du groupe testé à chaque stade, contre environ 10% de patients du groupe contrôle. Ces données se répercutent également sur les pourcentages de sévérité du scanner pulmonaire CT. En revanche, les patients du groupe testé avaient déclaré plus de symptômes que les patients du groupe contrôle.

Conclusion :

    Aucune de ces études ne semble suivre de méthodologie stricte et détaillée ; il est important de ne pas faire de raccourcis et de remettre les résultats positifs qu'elles présentent dans leur contexte, qui est celui d'un manque d'informations généralisé, de comparaisons entre des groupes de patients très différents (que ce soit ceux de l'IHU comparés au reste de la France, ou bien ceux du groupe traité comparé au groupe contrôle), et de patients traités alors qu'ils étaient déjà en bonne santé. 

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